L'inconduite des troupes sous Louis XIV

 

L'inconduite des gens de guerre à l'égard des populations, en France comme à l'étranger, est notoire sous Louis XIV.

Il est vrai que les périodes précédentes étaient tout aussi terribles : les guerres de religion virent nombre d'atrocités en France, puis la Guerre de Trente Ans ravagea profondément l'Allemagne. Le comportement des armées françaises de la seconde moitié du XVIIe siècle, par exemple pendant la Guerre de Hollande 1672-1678, suit ainsi les néfastes usages de cette époque...

 


Exactions françaises vers 1672 selon un contemporain hollandais
(gravure de Roamin de Hooghe, BNF)

 

« Ils ont incendié Coblence,
Les fiers dragons de Noailles,
Et pillé le Palatinat ;
Ils ont incendié Coblence. »

("Les Dragons de Noailles", chant de 1675)

 

Ces comportements frappent les contemporains, qui ont du mal à admettre que les troupes agissent de la même manière à l'intérieur du royaume ; mais les autorités s'en servent parfois volontairement, que ce soit pour mater les révoltes ou contre les huguenots.

A partir des années 1670 et 1680, la réorganisation de l'armée et l'amélioration des conditions de vie des soldats permettent une amélioration progressive de la discipline : les exactions les plus scandaleuses semblent diminuer.

Néanmoins, le comportement des troupes reste très difficilement supportable pour les populations qui les hébergent.

 


La répression de la révolte du papier timbré
en Bretagne, 1675-1676

La répression de la « révolte du papier timbré » est révélatrice de l'attitude des autorités et d'une partie de la noblesse.

De graves troubles et émeutes contre les taxes sur le papier timbré, le tabac, et la vaisselle d'étain, ont lieu dans différentes villes et dans les campagnes, en avril, mai, juin, et juillet 1675.

Le duc de Chaulnes, gouverneur de Bretagne, tente dans un premier temps, dans ses rapports à Colbert, de minimiser l'ampleur des troubles pour diminuer sa propre responsabilité. Puis, il n'hésite pas à proposer des mesures radicales :

« Le remède est de ruiner entièrement les faubourgs de cette ville (Rennes). Il est un peu violent ; mais c'est, dans mon sens, l'unique. Je n'en trouve même pas l'exécution difficile, avec des troupes réglées.(...) Il ne faut pas, pour cela, que les troupes viennent séparément, mais en même temps. Peu d'infanterie suffira, avec le régiment de la Couronne. »
(Lettre du duc de Chaulnes à Colbert, 12 juin 1675)

Il n'est pas seul à demander une répression active :

« On dit qu'il y a cinq ou six cents bonnets bleus en Basse-Bretagne, qui auraient bon besoin d'être pendus pour leur apprendre à parler. »
(Madame de Sévigné, 3 juillet 1675)

Les troupes demandées arrivent finalement en Bretagne, et entrent à Nantes en août. A leur tête, le gouverneur fait le tour de la province en faisant nombre d'exemples :

« Les paysans ont été bien punis de leur rébellion ; ils sont maintenant souples comme un gant ; on en a pendu et roué une quantité. »
(Témoignage cité par Ropartz, Histoire de Guingamp)

Finalement, le gouverneur et les troupes entrent à Rennes le 12 octobre. Plusieurs personnes sont arrêtées, certains sont exécutés, le Parlement de Bretagne est exilé à Vannes, les rennais sont lourdement taxés, et les habitants du faubourg de la rue Haute sont chassés. Mais en même temps, les troupes sont encore tenues en main, et un soldat est même exécuté en public pour avoir molesté ses hôtes.

Cela s'aggrave début décembre : les troupes d'élite arrivées en premier quittent la Bretagne, remplacées par des unités moins disciplinées, que le roi envoie passer l'hiver sur place.

Ce qui semble beaucoup choquer les contemporains, y compris le gouverneur lui-même, c'est que ces troupes se comportent alors comme elles le font normalement... à l'étranger !

« Les soldats vivent, ma foi, comme dans un pays de conquête (...) Venons aux malheurs de cette province : tout y est plein de gens de guerre (...) il s'en écarte qui vont chez les paysans, les volent et les dépouillent (...) il y a dix à douze mille hommes de guerre, qui vivent comme s'ils étaient encore au-delà du Rhin : nous sommes tous ruinés. »
(Madame de Sévigné, 8, 11 et 20 décembre 1675)

« Plusieurs habitants de cette ville et forsbourgs de Rennes ont été battus par des soldats qui étaient logés chez eux ; et tous les soldats ont tellement vexé les habitants qu'ils ont jeté de leurs hôtes et hôtesses par les fenêtres après les avoir battus et excédés, ont violé des femmes, lié des enfants tous nus sur des broches pour les vouloir faire rôtir, rompu et brûlé les meubles, démoli les fenêtres et vitres des maisons, exigé grandes sommes de leurs hôtes, et commis tant de crimes qu'ils égalent Rennes à la destruction de Hiérusalem. »
(Journal de René du Chemin, 13 décembre 1675)

« Je ne puis vous exprimer, monsieur, quels ravages les troupes font sur leur route. Je crains que cette province ne soit traitée comme le pays ennemi. »
(Lettre du duc de Chaulnes à Louvois, 9 février 1676)

 


Quelques punitions

 


Punition pour un soldat ayant volé des camarades :
courir entre deux rangées de ses compagnons
qui le frappent à coups de baguettes de fusil
(détail d'une gravure de Guérard)

 


Le « chevalet », utilisé pour punir un soldat coupable de petites fautes.
(détail d'une gravure de Guérard)

Le commentaire de la gravure est riche de précisions :
« Dans toutes les places de guerre il y a sur la place d'armes un cheval de bois qui sert à mettre les soldats lors qu'ils ont fait quelque fripponnerie ou qu'on les a trouvé avec des coureuses que l'on y place aussy bien qu'eux et souvent avec des boulets de canon aux pieds, durant plusieurs heures. »

Cette punition devait être peu appréciée, car on mentionne à Lesneven, en octobre 1693 : « ...comme par un effet de leur violence, les dits soldats (Suisses du régiment de Salis) ont brisé le chevalet posé devant le corps de garde pour contenir les dites troupes dans la discipline. »

 


Les soldats de la Marine ne semblent pas se comporter différemment des autres...

 

Les abus et exactions sont donc nombreux parmi toutes les troupes. Ce site étant en partie consacré aux Compagnies de la Marine, voici quelques mentions les concernant :

 

Un cas précis, en 1692, à Lesneven (près de Brest) :

« Mardi 7 octobre : Les compagnies franches de la marine, en quartier d'hiver à Lesneven, ne vivent point en bonne discipline, faisant venir leurs familles qui sont imposées aux habitants par les soldats, lesquels exigent plus que la subsistance réglementaire. Les habitants disent même n'avoir plus aucune assurance de la vie. Le jour, officiers et soldats vont sous prétexte de chasse, courir la campagne une lieue à la ronde, emportant tout ce qu'ils peuvent trouver, et, l'épée à la main, menaçant les paysans. Le soir, c'est en vain que se bat la retraite. Les dits exempts de la marine circulent par les rues et maltraitent leurs hôtes et autres habitants, insultant les filles en méchant dessein. Quantité d'habitants ont été attaqués ; les vitres et fenêtres des maisons ont été cassées et des coups de pistolet tirés dans les rues. Le dimanche 5 de ce mois, on a assassiné le sieur Louis Chauvel des Isles, avocat. Aux plaintes faites à ce sujet par le Procureur du roi, le Bailli et le Commis du greffe, le sieur de Villeray (commandant des troupes) aurait répondu avoir fait son devoir ; ce qui n'est point, vu qu'il a laissé évader l'assassin, le sieur Bareil, enseigne, lequel est resté toute la nuit en ville et a paru hier à 8 heures du matin, escorté d'un capitaine d'armes et d'un sergent, pour intimider les habitants et empêcher l'arrestement qu'on prétendait faire du dit assassinateur. Ce qui fait que les soldats en deviennent plus insolents, d'autant qu'il n'y a pas plus de 40 ou 50 bourgeois capables de se défendre de l'effort et violence de 150 soldats actuellement en quartier d'hiver.

En l'endroit, maître Antoine Boisangé, maître apothicaire, a déclaré (...) (qu') étant près de la maison du sieur de Toulc'hoat, rue de Notre-Dame, environ les 8 à 9 heures du soir, (...) (il) vit une personne qui par deux fois le rata d'un fusil ou d'un pistolet, dont il vit le feu et ouit la batterie.

Guy le Becq, sieur de Cheff du Bois, procureur, (...) déclare qu'un quart d'heure après l'assassinat du sieur des Isles, il fut surpris de voir 4 ou 5 officiers et soldats se ruer sur les personnes assemblées pour voir l'état de la victime, de sorte que un chacun prenant la fuite, il fut obligé de se retirer chez le sieur de Mesgouez Laoust, poursuivi des dits officiers et soldats, les uns armés d'épées, les autres de bâtons.

Trois des dits soldats de la marine sont même entrés effrontément dans la maison de ville, en l'endroit de la présente tenue, lesquels avertis par le héraut de se retirer, se seraient transportés de colère et disant "B.... de chasse gueux", en se retirant. »

(Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, Tome XLVI)

 

Les habitants se plaignent sans cesse d'être obligés d'héberger de nombreuses troupes. Toujours à Lesneven :

« 3 Avril 1708 : Le substitut du procureur du roi remontre l'accablement où l'on est par le logement des gens de guerre, actuellement ou continuellement depuis 20 ans, sans relâche, et notamment, depuis septembre dernier, de plus de 250 soldats de marine, avec les officiers, faisant 4 compagnies, non compris leurs femmes et leurs enfants, qu'ils installent les trois quarts d'entre eux chez leurs hôtes, malgré ces derniers, quoiqu'il n'y ait pas à Lesneven 80 maisons à pouvoir loger ; desquelles, 50 sont de petites maisonnettes couvertes de chaume, et occupées par de pauvres laboureurs et artisans, accablés par ailleurs de misère, de taxes, capitations, taxes de maisons et tailles de fouages ; nonobstant tout cet accablement, on a encore envoyé hier 40 soldats avec officiers.

Les habitants demandent décharge d'une partie des ces troupes ; que défense soit faite aux femmes et aux enfants de venir chez les hôtes, vu que ces derniers ne sont pas tenus de les recevoir, et ne le peuvent, n'ayant qu'une petite chaumière, où il n'est pas possible de loger 2 soldats, 2 femmes avec 5 à 6 enfants, alors surtout que le billet n'est que pour 1 soldat, outre les crimes que ces soldats font souvent en amenant des filles qu'ils disent être leurs femmes. »

(Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, Tome XLVI)

 

Les archives municipales de Guingamp indiquent :

- le 17 Janvier 1686, décès d'un soldat de la Marine, tué par un camarade ;

- le 30 Décembre 1697, un autre soldat de la Marine est assassiné.

 

A Port-Louis (près de Lorient),

- on mentionne, en 1705, une bagarre entre des soldats de la Marine et de la garnison.

 


 

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